Interview : Une nouvelle mobilité avec le Stefan Carsten, futurologue
23.07.2020 | Mobility
Stefan Carsten est expert prévisionniste et géographe urbain. Dans son travail, il combine les thèmes de l’avenir, de la ville et de la mobilité.
Dans un article pour le Zukunftsinstitut sur la mobilité post-Covid-19, vous parlez d’une « grande transformation de la mobilité » qui aurait débuté depuis longtemps. Qu’est-ce que cela signifie pour vous, et quel rôle joueront selon vous les E-Bike et les vélos E-Cargo dans la mobilité de demain ?
De manière générale, je reviens toujours à trois paradigmes qui résument l'avenir de la mobilité. D’abord, l’Autonomous Individual Mobility, soit la poursuite de la culture de la voiture individuelle. Ensuite, la Seamless Mobility, soit la connexion des modes de transport autour des transports publics. Enfin, les Active Lifestyles, une mobilité active saine et silencieuse basée sur le vélo et la marche à pied.
Ce dernier point a particulièrement progressé avec la Covid-19 : Milan, Paris, Londres et Bruxelles tendent de plus en plus vers ce paradigme en transformant les rues en espaces publics pour les piétons et les cyclistes. Ces villes suivent donc une évolution déjà entamée par leurs habitants : se déplacer de plus en plus à vélo – malgré le manque de sécurité des pistes cyclables et l’accroissement des accidents entre voitures et vélos.
Mais cela vaut également pour les villes dont la topographie n’est pas particulièrement adaptée au vélo. Un problème que compensent les moteurs électriques. Les E-Bikes et vélos E-Cargo s’avèrent ainsi être les garants d’une mobilité simple, saine et active en ville comme dans ses environs. Une évolution dont je ne vois pas la fin.
Quel est pour vous le lien entre mobilité, espace urbain et qualité de vie ? Comment pourrait-il se développer dans le contexte des technologies modernes et du passage progressif au numérique ?
La qualité de vie est devenue un sujet crucial pour de nombreuses villes qui rivalisent maintenant dans une compétition d'attractivité. Les villes sont devenues de plus en plus actives et œuvrent à se restructurer pour être adaptées et attrayantes pour la classe moyenne. Andreas Reckwitz (note : professeur de Sociologie générale et de Sociologie de la culture à l’université Humboldt de Berlin) y voit une société des singularités devenir efficace dans l’espace. Un monde en contraste avec la mobilité individuelle, basée sur la numérisation et l’autonomisation. Le risque est donc que les villes qui ne s’engagent pas dans le monde de l’Active Lifestyle, et qui ne préparent pas cet avenir, se voient envahir par le paradigme de la mobilité autonome individuelle. La dépendance y serait trop forte, et les acteurs de l’automobile trop puissants. Mais d’un autre côté, les perspectives d'autonomisation, avec notamment une réduction drastique du nombre d'accidents, sont très tentantes.
De nombreuses métropoles, villes et communes sont actuellement en phase de transition. Quelles mesures sont selon vous nécessaires pour créer un espace urbain où il fait bon vivre ? Quelles sont les ramifications de l’avenir des villes ?
Dans de nombreuses villes, l’épidémie de Covid-19 a permis d'identifier l’avenir dans lequel nous voulons vivre. Les régions où l’air est pollué ont été particulièrement touchées. La réduction des émissions liées au transport et à l’industrie nous a permis de contempler le ciel bleu, et sensibilisé au développement durable, ce vers quoi tendent de plus en plus d’acteurs. Ce qui implique la poursuite de la transformation des villes : suppression de routes, démolition de parkings et augmentation de leurs tarifs. Le développement des pistes cyclables, tout en procédant à la séparation des voies dans l’ensemble de la ville, et de meilleures connexions entre les modes de transport, par exemple avec des offres intégrées, dites All-Inclusive Mobility, pour proposer de nouvelles alternatives aux banlieues et aux zones rurales. Des Mobility Hubs viennent regrouper ces offres dans l’espace, non seulement dans les centres-villes, mais aussi en périphérie. Et bien entendu, l’introduction généralisée de la mobilité électrique pour tous les modes de transport : voitures, vélos, bus et camions, pour arrêter les émissions, au moins à l’échelle locale.
Quels sont selon vous les défis auxquels les politiques doivent faire face en matière de mobilité ?
De quel avenir voulons-nous ? Dans quelle ville, quelle région voulons-nous vivre ? Dans un pays où l’automobile est la culture dominante, il est difficile de se réinventer. Il n’existe à dire vrai aucun bon exemple de mobilité de demain en Allemagne. Par contre, il existe une myriade d’exemples de l’avenir de l’automobile. Nous devons abandonner cette voie pour que tous aient accès à la mobilité. Il est également nécessaire que nous ayons autant de droits en matière d'infrastructure et d’investissements publics. En la matière, les décisions du plan de relance économique sont positives.
Il convient également d’encourager la multimodalité. Il est encore difficile d’emprunter les transports en commun avec son vélo. Il nous faut de nouvelles solutions pour nous permettre d’emprunter avec eux le bus et le métro, mais aussi la voiture. En effet, la combinaison des moyens de transport est une forme de renoncement à une politique axée uniquement sur les voitures.
En quoi une nouvelle mobilité est-elle dans l’intérêt de l’économie et peut-elle contribuer à un développement sain ?
Au sujet de la nouvelle orientation de la ville de Milan, son maire a déclaré : « Nous travaillons depuis des années à réduire la circulation de voitures. Si chacun d’entre nous conduit sa voiture, la place manque pour les citoyens, pour se déplacer et pour les activités commerciales hors des magasins. Bien entendu, nous voulons relancer l’économie, mais nous devons le faire d’une manière différente que par le passé. » Une ville saine permet de réduire la pression qui pèse sur les caisses d’assurance maladie – une ville qui fait la part belle aux vélos renforce le commerce de proximité et la qualité de vie urbaine, tout en devenant plus attrayante pour les entreprises. L'économie à son tour doit se réinventer. Plutôt que d’encourager les employés à prendre leur voiture, ne serait-il pas possible de favoriser le vélo ou les diverses autres offres de mobilité ? Il serait nécessaire ici de se concentrer sur la mobilité propre, c'est-à-dire la mobilité électrique.
Comment vous déplacez-vous dans l’espace urbain ?
J’habite dans le centre de Berlin, à Berlin-Mitte. On y dénombre 30 options de mobilité différentes disponibles. Plus que n’importe où ailleurs. C'est cela la véritable mobilité – et c’est comme cela que je me déplace. Je fais du vélo, je marche, j’utilise le métro et le tramway, je fais du covoiturage ou parfois je prends ma propre voiture. En fonction de la situation, du contexte et de l’objectif. La mobilité devient ainsi un jeu et un pur plaisir.